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L’année 2020 est reportée. A vos marques ?

La science-fiction n’a eu de cesse d’imaginer et de revisiter les voyages dans le temps. Mais dans le monde réel, ce sont les organisateurs d’évènements sportifs qui nous feront voyager vers le passé : à l’été 2021, nous reviendrons en 2020.

Les nouvelles ne sont en effet pas passées inaperçues : le championnat d’Europe de football organisé par l’UEFA, comme les Jeux Olympiques et Paralympiques de Tokyo qui devaient se tenir cet été, ont été reportés à l’été 2021. Mais alors que ces évènements ont été repoussés d’un an, leurs organisateurs ont choisi de ne pas modifier leur nom[1]. Se tiendront donc l’an prochain : l’Euro 2020 et les J.O. de Tokyo 2020.

Alors que nous évoquions récemment le sort des marques utilisées sous une forme modifiée[2], voilà que se présente la problématique inverse : comment adapter sa stratégie de protection, d’exploitation et de défense, lorsque le choix est fait de conserver ou de se tourner vers un signe « passé de date » ?

Les raisons qui ont dicté le choix des organisateurs de ces évènements sportifs internationaux sont aisément compréhensibles : volonté de garder un lien avec la date initiale de l’édition qui aurait dû se tenir cette année, de ne pas mettre à mal les efforts de communication et de promotion de l’évènement déjà consentis ou encore de tenter de sauvegarder l’économie de contrats et d’opérations déjà entreprises. Parce que derrière cette apparente simple mention de date, se trouvent des sujets aussi variés que :

  • Les coûts de création et développement des chartes graphiques et logos liés à l’évènement, emportant en outre des cessions de droits spécifiques pour l’exploitation des éléments créés. La modification des logos aurait, par exemple, nécessité l’accord des créateurs ;
  • Les campagnes de dépôts de marques, dessins et modèles ou noms de domaine à grande échelle, qui impliquent pour de tels évènements de couvrir un grand nombre de juridictions et engendrent donc nécessairement des coûts importants. Celles-ci sont d’ailleurs anticipées très en amont, l’UEFA ayant par exemple largement déposé le logo de l’évènement 2020 dès 2016, soit à l’issue de la précédente édition (ici la marque européenne n° 015848104) :

 

 

Tout comme le Comité International Olympique (CIO) (ici encore, la marque européenne, n° 1334248) :

 

 

Plus qu’une actualisation de la date, renommer ces évènements « Euro 2021 » ou « Tokyo 2021 » aurait donc aussi posé la question de l’opportunité de mener à bien ou d’abandonner ces campagnes de dépôts, pour en lancer de nouvelles – avec les coûts que cela comporte, non seulement en termes de taxes officielles et frais de mandataire(s), mais aussi des possibles actions entreprises pour lever les obstacles d’éventuelles antériorités ou objections émises par les offices compétents (et ce d’autant plus que des campagnes de dépôts sont déjà initiées par / pour les villes / pays candidat(e)s, avant même l’attribution définitive de l’organisation de la compétition) ;

  • Ou encore, la revue et la modification de l’ensemble des contrats impliquant les logos, marques et autres droits de propriété intellectuelle, notamment les contrats de parrainage ou les contrats de licence pour la production et la commercialisation de produits dérivés, merchandising etc. – qui sont généralement nombreux et variés (sans parler, bien entendu, des produits dont la fabrication était déjà programmée ou lancée et qu’un changement de dénomination aurait rendus obsolètes).

Et cela en gardant à l’esprit que ces décisions n’impactent pas uniquement les organisateurs de ces évènements, mais aussi les participants et partenaires officiels (notamment les sponsors, diffuseurs, équipementiers des équipes et athlètes sélectionné(e)s, etc.)

Mais une fois cette décision actée : quels sont, pour les organisateurs et les différents acteurs, les moyens de se prémunir ou de se défendre contre des tiers qui auraient la « brillante » idée de tenter de tirer profit de ce « décalage temporel » et du possible manque de protection qu’il engendre, pour s’approprier et/ou faire usage des dénominations « Euro 2021 » ou « Tokyo 2021 » ?

Plusieurs voies semblent possibles, hormis bien entendu l’option coûteuse de relancer de nouvelles campagnes de dépôts, à titre défensif (ce que le CIO n’a visiblement pas exclu, la marque semi-figurative  n° 018233834 ayant par exemple été déposée le 5 mai dernier auprès de l’EUIPO) :

  • Pour les organisateurs, la possibilité de se prévaloir du droit de propriété exclusif dont ils bénéficient en tant qu’organisateur d’un évènement sportif – en France au titre de l’article L. 331-1 du Code du sport, dont le pendant existe dans un certain nombre d’autres pays (en toute hypothèse, des organisations telles que le CIO, la FIFA ou l’UEFA s’assurent généralement de l’engagement du pays hôte à prévoir de tels mécanismes de protection dans sa législation locale avant de lui en confier les rênes) ;

 

  • L’action en contrefaçon sur la base de marques « 2020 » reste bien sûr possible, de même que le recours à la responsabilité civile, et plus particulièrement la concurrence déloyale et/ou le parasitisme – à l’instar notamment des sanctions déjà prononcées dans des cas d’ambush marketing. Pour exemple, un particulier qui avait déposé les marques « Paris 2016 », « Paris 2020 », « Paris 2024 » et « Paris 2028 », et réservé les noms de domaine correspondants en « .fr » et « .com », a été condamné le 14 mars 2007 par le Tribunal de Grande Instance de Paris pour – entre autres – des actes de contrefaçon de marque, le Comité national olympique et sportif français étant à l’époque titulaire de marques sur les dénominations « Paris 2003 » et « Paris 2012 »[3].

Cela suppose néanmoins l’engagement d’actions judiciaires parfois longues et coûteuses, lorsque des mesures de précontentieux telles une mise en demeure sont infructueuses ;

  • Dans cette même affaire, le Tribunal de Grande Instance de Paris avait accepté les demandes fondées sur le caractère frauduleux des marques en cause – motif d’invalidation aujourd’hui admis devant l’INPI, lequel est compétent pour statuer sur des demandes de nullité de marques à titre principal depuis le 1er avril dernier (nous rendions compte récemment de cette nouvelle possibilité dans une autre newsletter[4]) ;
  • Outre les éventuelles demandes en nullité formulées a posteriori, l’opposition à enregistrement n’est pas non plus à exclure – de même que de possibles objections pourraient être émises d’office dans les pays à examen tels que les Etats-Unis. C’est le cas récent des dépôts effectués par la société PUMA sur les dénominations « Puma Tokyo 2021 », « Puma Tokyo 2022 » – du fait de leur possible association avec les Jeux Olympiques de Tokyo– et sur les dénominations « Puma Euro 2021 » et « Puma Euro 2022 » refusées en avril dernier par l’USPTO, là encore du fait du risque de confusion existant avec les marques antérieures « Euro 2020 » (ou l’opportune marque « »…) et de leur possible association avec les championnats organisés par l’UEFA[5]. Ces refus sont encore provisoires et peuvent toujours être contestés par PUMA, mais nous sembleraient légitimement fondés dans la mesure où PUMA ne serait pas l’un des partenaires de ces évènements et/ou que les différents accords conclus avec les organisateurs / titulaires de droits ne lui en auraient expressément donné l’autorisation. Au niveau européen, une demande de marque verbale « EURO 2021 »[6] a également été déposée par un particulier le 12 mars dernier – soit cinq jours à peine avant l’annonce officielle du report de la compétition par l’UEFA, alors que les rumeurs allaient déjà grandissant, et qu’en toute hypothèse, le championnat d’Europe féminin était déjà prévu pour l’été 2021 ;
  • Enfin, la protection conférée aux marques de renommée devrait pouvoir être actionnée, considérant l’importante publicité de ces évènements à travers le monde et leur caractère récurrent (ils sont, hors survenue d’évènements exceptionnels tels l’actuelle pandémie, organisés à intervalles réguliers tous les quatre ans, et les noms des compétitions se composent quasi-systématiquement de la combinaison du nom du pays ou de la ville hôte suivi de l’année de tenue de l’évènement – des dépôts de marque pour l’édition 2024 de l’Euro, sur le logo , ont d’ores-et-déjà été effectués, par exemple). Il est à noter que la nouvelle procédure d’opposition, fruit d’une harmonisation européenne, vise à faciliter les procédures fondées sur les marques de renommée et introduit la possibilité pour les collectivités territoriales de s’opposer à l’enregistrement d’une marque dès lors qu’elle porterait atteinte à son nom, son image ou sa renommée.

Si l’actualité de ces importants évènements sportifs est au cœur de notre newsletter mensuelle, nous ne doutons pas que des problématiques similaires puissent se présenter en d’autres circonstances, notamment pour les titulaires de droits sur des signes empreints d’un élément de temporalité.

 

Et risquons-nous à cette conclusion : vivement 2021 !

 

 

 

 

Nelly Olas est Conseil en Propriété Industrielle. Avant de rejoindre le cabinet Santarelli en 2015, elle a exercé en tant qu’avocate – admise aux barreaux de Paris et de New York. Elle cumule plus de 10 ans d’expérience, et est titulaire d’un D.E.A. en droit de la propriété littéraire, artistique et industrielle de l’Université Paris 2 – Assas, ainsi que d’un LL.M. en Propriété Intellectuelle de l’université Cardozo, située à New York.

[1] Voir les communiqués respectifs de l’UEFA https://fr.uefa.com/uefaeuro-2020/news/025c-0f3dc0e8fd28-c26df91f6251-1000–l-uefa-euro-2020-conservera-son-nom/?iv=true, et du Comité International Olympique conjoint au Comité d’organisation des J.O. de Tokyo https://www.olympic.org/fr/news/communique-commun-du-comite-international-olympique-et-du-comite-d-organisation-de-tokyo-2020

[2] Notre newsletter précédente, rédigée par Nawel Triba : https://www.santarelli.com/de-lusage-de-la-marque-sous-une-forme-modifiee-une-subtilite-tout-en-finesse-et-en-incertitudes/

[3] Tribunal de Grande Instance de Paris, 3e chambre, 3e section, 14 mars 2007, R.G. n° 2006/00016

[4] Notre précédente newsletter, rédigée par Fabrice Pigeaux : https://www.santarelli.com/bonne-nouvelle-linpi-peut-desormais-prononcer-la-nullite-et-la-decheance-de-marques-enregistrees/

[5] L’objection émise par l’USPTO mentionne que le refus est, entre autres, justifié comme suit : « because the applied-for mark consists of or includes matter that may falsely suggest a connection with the 2020 UEFA European Football Championship. […] Although The UEFA is not connected with the goods provided by applicant under the applied-for mark, the quadrennial football championship is so well-known that consumers would presume a connection. » (notre traduction: « la demande de marque se compose de ou inclut des éléments qui sont de nature à indûment laisser penser qu’il existe une association avec le championnat d’Europe 2020 de l’UEFA […] Bien que les produits désignés par le déposant ne présentent pas de lien avec l’UEFA, le championnat de football quadri-annuel est d’une renommée telle que le consommateur pourrait effectuer cette association »)

[6] Demande de marque européenne n° 018210137 du 12 mars 2020, en cours d’examen et non encore publiée à date de rédaction