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Prouver la contrefaçon avec un constat d’achat : #MissionImpossible ?

L’arrêt rendu par la Cour de Cassation le 25 janvier 2017 sème le trouble sur la question de l’identité de celui qui procède à l’achat des produits présumés contrefaisants avant de les remettre à huissier de justice. Cet arrêt a été rendu en matière de droit d’auteur, mais il doit s’appliquer à d’autres domaines de la propriété intellectuelle, en particulier celui des brevets.

Le Code de la Propriété Intellectuelle prévoit que le propriétaire d’une demande de brevet ou d’un brevet peut faire la preuve de la contrefaçon par tous moyens. Cependant, derrière ces dispositions se cachent de nombreuses difficultés pratiques dictées par la jurisprudence.

Jusqu’à présent, ces difficultés concernaient essentiellement le moyen de preuve qui a fait la singularité du système français : la saisie-contrefaçon. L’arrêt de la Cour de Cassation fait, quant à lui, peser une incertitude sur la validité du constat d’achat comme moyen de preuve de la contrefaçon.

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Pour prouver la contrefaçon, le recours à un constat d’achat par huissier de justice est une procédure simple (extra-judiciaire) et peu coûteuse. En outre, le constat d’achat est moins susceptible de contestation que la saisie-contrefaçon.

Certaines conditions et précautions doivent cependant être respectées pour éviter que les opérations de constat ne soient entachées de nullité :

C’est pourquoi l’huissier doit se limiter à décrire un achat fait par un tiers (le tiers acheteur). Il ne constate pas l’acte d’achat en tant que tel mais cet achat se déduit de ces constatations et de la facture qu’il aura annexée à son procès-verbal.

  • Il est interdit à l’huissier d’entrer dans le magasin (lieu privé) sauf à y être autorisé par le juge. Il doit donc effectuer le constat depuis la voie publique et faire appel à une autre personne qui procédera à l’achat dans le magasin.

Ainsi, lors d’un constat d’achat, l’huissier constate qu’un tiers entre, les mains vides, dans le magasin où les produits sont en vente, puis que ce tiers ressort du magasin en possession des produits présumés contrefaisants et de la facture correspondante.

Les produits sont souvent photographiés et ces photos seront annexées, avec la facture, au procès-verbal du constat d’achat. Le cas échéant, l’huissier peut par la suite placer les produits sous scellés.

Jusqu’à présent, il était admis que le tiers acheteur ne pouvait pas être un salarié de l’huissier en charge du constat. Mais, il pouvait s’agir d’une personne employée par le cabinet d’avocats ou le cabinet de Conseils en propriété industrielle de la partie requérante.

Cependant, la Cour de Cassation dans son arrêt du 25 janvier 2017, en se fondant sur « les articles 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 9 du code de procédure civile, ensemble le principe de loyauté dans l’administration de la preuve », considère que « le droit à un procès équitable, consacré par le premier de ces textes, commande que la personne qui assiste l’huissier instrumentaire lors de l’établissement d’un procès-verbal de constat soit indépendante de la partie requérante ».

Dans le cas d’espèce, le tiers qui a réalisé l’achat était un stagiaire du cabinet d’avocats de la société qui avait mandaté l’huissier. La Cour d’Appel avait estimé qu’il était indifférent que ce tiers soit un stagiaire du cabinet d’avocats dès lors qu’il n’était argué d’aucun stratagème déloyal. La Cour de Cassation affirme au contraire que la Cour d’Appel a porté atteinte aux textes mentionnés ci-dessus.

Cet arrêt, en considérant que l’intervention d’un tiers acheteur, lorsque celui-ci est un stagiaire du cabinet d’avocats de la partie requérante, est un procédé déloyal, va considérablement compliquer le recours au constat d’achat pour prouver la contrefaçon, et à tout le moins, rendre cette pratique risquée.

Cet arrêt soulève en effet plusieurs points :

  • La Cour de Cassation remet en cause l’indépendance du tiers acheteur.

Cette remise en cause résulte-t-elle du statut de stagiaire de ce tiers acheteur ou du fait qu’il est employé par le cabinet d’avocats chargé de représenter la partie requérante devant la justice ?

  • Qui est le tiers acheteur indépendant qui offrira suffisamment de garanties et qui ne laissera aucun doute sur le fait qu’il n’a usé d’aucun procédé déloyal comme par exemple le recours à un complice pour substituer les produits achetés avant de ressortir du magasin ?

Est-ce une personne effectuant des missions ponctuelles pour l’huissier et qui n’a aucun lien avec la requérante si ce n’est qu’elle sera rémunérée, directement ou non, par cette requérante ?

  • La question de l’indépendance du tiers qui effectue l’achat rappelle la question de l’indépendance de l’expert qui assiste l’huissier lors des opérations de saisie-contrefaçon en matière de brevets.

L’arrêt du 8 mars 2005 de la Cour de Cassation avait tranché le débat nourri sur l’indépendance du CPI lorsque celui-ci assiste l’huissier pour les opérations de saisie-contrefaçon. La Cour de Cassation avait finalement considéré que la profession de Conseil en propriété industrielle, en tant que profession indépendante, apportait suffisamment de garanties pour que le CPI, et même le CPI habituel de la partie saisissante, puisse valablement assister l’huissier au cours de la saisie-contrefaçon.

Quoi qu’il en soit, cet arrêt apporte des incertitudes sur le plan pratique quant à la réalisation de constats d’achats. Dans l’attente de clarifications, en particulier par de nouvelles jurisprudences, il conviendra de prendre des précautions complémentaires en collaboration avec votre huissier habituel.

Léa-Marie Rogemont, Conseil en Propriété Industrielle.

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