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« On hasarde de perdre en voulant trop gagner1 » ou quand les déposants se font rappeler que la mauvaise foi a ses limites, même/surtout en droit des marques

De tout temps, la tentation a été grande pour certains d’interpréter un peu librement les principes pour contourner, voire abuser, du droit des marques, mais les tribunaux sont les gardiens de l’esprit et la lettre de la loi et font la part des choses entre naïveté, mauvaise foi et distorsion de concurrence.

 1. Le Tribunal de l’UE 2 a récemment fermement sanctionné la pratique abusive des dépôts réitérés et identiques de marques.

Le 30 avril 2010, la société Hasbro a déposé une marque de l’Union européenne « MONOPOLY » en classes 9, 16, 28 et 41. Cette marque est enregistrée en mars 2011.

Une partie produits et services couverts par ce dépôt étaient déjà visés par des enregistrements antérieurs communautaires « MONOPOLY » de 1998, 2009 et 2010.

En 2011, Hasbro forme opposition à l’encontre d’une demande de marque Internationale désignant l’UE déposée par la société Croate KREATIVNI DOGADAJI d.o.o et fonde son action sur sa marque de 2011, donc non encore soumise à obligation d’usage.

En 2015, cette société rétorque et introduit une action en nullité contre la marque précitée, sur le fondement de l’Article 52, paragraphe 1 sous b) du règlement n°207/2009, en vertu duquel la nullité d’une marque est déclarée lorsque le demandeur est de mauvaise foi lors du dépôt de sa marque.

La société Croate arguait que cette marque « MONOPOLY » de 2011 avait pour seul objectif de contourner l’obligation de prouver l’usage sérieux des marques antérieures de Hasbro.

En 2017, la division d’annulation rejette cette demande en nullité.

Au cours de la procédure, Hasbro admet que l’un des avantages justifiant le dépôt de la marque contestée , était de pouvoir l’invoquer dans une procédure, sans devoir en prouver l’usage sérieux et ajoute qu’il s’agit d’un aspect connu de tous les titulaires de marques.

La Chambre des Recours en conclut que le comportement de Hasbro prolongeait « indûment et frauduleusement la période de grâce de cinq ans » et visait « manifestement à contourner l’obligation de prouver l’usage de marques plus anciennes » et doit ainsi être considéré comme une « intention de fausser et déséquilibrer le système de la marque de l’UE ». Elle annule ainsi partiellement la marque contestée pour tous les produits et services identiques à ceux déjà couverts par les marques antérieures de Hasbro.

Cette analyse est confirmée par le TUE dans sa décision du 21 avril 2021.

Le TUE rappelle que les marques de l’UE sont protégées « que dans la mesure où ces marques sont effectivement utilisées » (Point 50).

Il ajoute que « si les dépôts réitérés pour une marque ne sont pas interdits », ceux-ci peuvent être annulés en cas de mauvaise foi de leur titulaire (Point 57).

Selon le Tribunal, les éléments du dossier démontrent que la société Hasbro a « délibérément visé à contourner une règle fondamentale du droit des marques de l’Union européenne, à savoir celle relative à la preuve de l’usage, pour en tirer profit au détriment de l’équilibre du régime des marques de l’Union européenne établi par le législateur de l’Union » (Point 69).


1Le Héron, J de La Fontaine

2Tribunal UE, 21 avril 2021, T-663/19, EU:T:2020:1044, Hasbro, Inc. / EUIPO – Kreativni Događaji d.o.o. pour en tirer profit au détriment de l’équilibre du régime des marques de l’Union européenne établi par le législateur de l’Union » (Point 69).


Le TUE vient même à ajouter que « la stratégie de dépôt pratiquée par la requérante, visant à contourner la règle relative à la preuve de l’usage […] n’est pas sans rappeler la figure de l’abus de droit » (Point 72).

Il confirme donc le raisonnement de la Chambre des Recours qui a déclaré la mauvaise foi de Hasbro et l’annulation de la marque contestée , pour tous les produits et services identiques à ceux déjà couverts par ses marques antérieures.

Le témoignage à tout le moins maladroit produit par Hasbro a eu semble-t-il un impact négatif et une attention particulière doit être portée aux éléments de preuves fournis et à leur présentation, car ceux-ci peuvent finalement desservir la partie qui les produit.

La pratique de dépôts réitérés systématiques et/ou identiques, pour prolonger abusivement la période de non vulnérabilité pour défaut d’usage des marques, séduit de nombreux déposants. Or, le TUE rappelle que « le simple fait que d’autres entreprises puissent recourir à une certaine stratégie de dépôt ne rend pas nécessairement cette stratégie légale et acceptable » (Point 94).

Si l’appréciation du TUE apparait à certains sévère, Hasbro ayant procédé « uniquement » à trois dépôts de marques verbales de l’UE (au libellé actualisé) en 14 ans, et pas systématiquement à la fin de chaque période de cinq ans, elle est un juste rappel du principe du droit des marques, qui n’a pas pour objectif d’altérer la libre concurrence et appelle surtout à la plus grande prudence des titulaires qui envisageraient de réitérer des dépôts de marques, sachant que, pour autant, la situation peut varier selon les pays et les situations. Cette décision rappelle aussi qu’il est crucial pour les titulaires d’avoir une stratégie de conservation de preuves d’usage de leurs marques, afin de pouvoir les produire le moment venu.

 2. La problématique de la mauvaise foi est régulièrement alimentée et tout dernièrement, par des décisions de la division d’annulation3 de l’EUIPO statuant sur quatre nouveaux dépôts de marques, représentant des œuvres de BANKSY, détenus par la société a priori en charge de la gestion des droits de l’artiste.

L’EUIPO a en effet notamment jugé que ces marques n’ont pas été déposées pour être exploitées en tant que telles, mais avec pour objectif de s’approprier des droits sur des signes pour lesquels BANKSY ne pouvait se prévaloir de droit d’auteur sans lever son anonymat, et qu’il s’agissait par conséquent d’un détournement du droit des marques, non conforme aux usages honnêtes en matière commerciale ou industrielle : « Le but d’une marque est de permettre aux consommateurs d’identifier l’origine commerciale des produits ou services en cause et de distinguer ces produits ou services de ceux d’autres sociétés. Le but d’une marque n’est pas d’interdire à des tiers d’enregistrer ou d’utiliser des signes que le demandeur en nullité n’utilise pas pour identifier des produits et des services afin de se tailler une partie du marché commercial ».

Ces décisions récentes sont là pour rappeler que :

  • la fonction essentielle d’une marque est l’identification de l’origine des produits et/ou services du titulaire sur le marché afin de les distinguer des autres
  • et si une marque peut être renouvelée indéfiniment, pour autant, le but d’une marque n’est pas d’encombrer le registre ad vitam aeternam, ni de paralyser indéfiniment des concurrent potentiels, mais bien d’être utilisée en tant que signe distinctif
  • et qu’on ne peut pas à loisir, en détourner la définition, la nature et le but.

3Cancellation no c 39 921 (invalidity) , cancellation no c 40 000 (invalidity) du 19/06/2021 et Cancellation no c 40 001 (invalidity), Cancellation no c 39 872 (invalidity) du 18/06/2021

Notre Cabinet se tient à votre entière disposition pour vous accompagner et vous conseiller sur ces différents aspects, en tenant compte des particularités de chaque situation et dans le strict respect du droit.

Isabeau Harretche est Conseil en Propriété Industrielle et cumule une expérience de près de 7 ans en cabinets de conseil. Elle a rejoint Santarelli en 2020. Elle conseille et assiste une clientèle variée, dans la gestion de leurs portefeuilles et la défense de leurs droits, tant en France qu’à l’international.