Découvrez toutes nos actualités

Lorsque le droit d’auteur enfourche son vélo : un tour par l’Arrêt Brompton

Dans l’affaire Brompton[1] la CJUE a rendu le 11 juin dernier un arrêt remarqué relatif à la protection des formes fonctionnelles par le droit d’auteur, suite à une question préjudicielle posée par la Cour de Liège.

En effet, la forme de tout produit peut, en principe, bénéficier de la protection par le droit d’auteur. Toutefois cette protection ne trouve à s’appliquer qu’aux produits ou aux parties de produits, qui sont le résultat d’un « effort créatif » (critère de protection par le droit d’auteur) et non à celles qui sont induites par une fonction particulière ou un résultat technique. Dans ce cas, la forme ne nécessite pas d’effort créatif et n’est donc pas du ressort du droit d’auteur. Elle est en revanche potentiellement protégeable par brevet – si les conditions en sont réunies.

Quid alors des formes qui sont dictées par le résultat à atteindre, mais qui ont néanmoins également bénéficié d’un effort créatif ?

Dans l’arrêt Brompton précisément, la forme du célèbre vélo pliable de la marque britannique
doit-elle être exclue de la protection par le droit d’auteur, dès lors qu’elle est nécessaire à un résultat (qu’il soit pliable en trois positions distinctes) ?

La question est d’importance puisque cela reviendrait à exclure ipso facto du périmètre du droit d’auteur bon nombre d’objets de notre quotidien.

En outre, la protection par le droit d’auteur bénéficie d’une durée de protection plus longue (en principe 70 ans à compter de la mort de l’auteur) que le brevet (20 ans). Dans le cas présent, le vélo pliable de Brompton était d’ailleurs couvert par un brevet, maintenant expiré[2] , ce dont la société poursuivie avait profité pour commercialiser son propre vélo, représenté ci-dessous :

[3]

Vélo Brompton

Vélo Brompton

Vélo adverse

Vélo adverse

La Cour répond en rappelant les critères d’analyse :

  • Une forme qui serait uniquement dictée par sa fonction, n’est pas protégeable par le droit d’auteur ;
  • Une forme qui a un résultat technique, n’est pas pour autant nécessairement exclue de la protection par le droit d’auteur ;
  • Le juge doit s’attacher à déterminer si la forme constitue « un produit original résultant d’une création intellectuelle », ce qui sera le cas lorsque l’auteur aura pu « effectuer des choix libres et créatifs permettant à la forme de refléter sa personnalité ».

 

Dans l’appréciation de ce travail créatif de l’auteur, il convient de prendre en compte un faisceau d’indices, notamment :

  • si un brevet avait été déposé pour la forme étudiée, afin de révéler quelle était l’intention initiale du créateur (ce qui était bien le cas en l’espèce) ;
  • si d’autres formes alternatives permettraient de parvenir au même résultat, ce qui peut laisser penser que l’auteur avait d’autres choix de formes que celle qu’il a retenue, et qu’il a donc bien exercé sa liberté créatrice.

La CJUE écarte en revanche la référence à « l’intention du contrefacteur », circonstance extérieure au processus de création de la forme.

Armées de ces précisions, les juridictions belges vont maintenant devoir reprendre le dossier et déterminer si le vélo Brompton est effectivement protégeable, avant de statuer sur une éventuelle contrefaçon. En Espagne, la Cour de Madrid a déjà considéré[4] en 2010 que le vélo Brompton pouvait effectivement être protégé par le droit d’auteur.

Deux réflexions rapides à l’issue de cet arrêt :

  • Sur le fondement du droit d’auteur, aucune Cour n’est compétente pour juger d’une contrefaçon au niveau européen – ce qui permettrait d’éviter des décisions divergentes et de contraindre à multiplier les actions. A noter en revanche qu’en cas d’action en contrefaçon sur une marque de l’UE, il est possible dans certains cas d’obtenir une réparation pour les faits de contrefaçon commis sur l’ensemble du territoire de l’UE[5].
  • D’autres fondements pourraient permettre de protéger un tel produit iconique, notamment la marque tridimensionnelle pour la forme, qui obéit à ses propres critères de protection – essentiellement le caractère distinctif. Celui-ci peut être acquis soit ab initio (pour les objets dont les formes diffèrent « significativement » des habitudes du secteur), soit par l’usage suffisant qui a été fait de la forme[6].

Dans tous les cas, une analyse minutieuse et un travail rigoureux doivent être effectués pour établir une stratégie de protection et obtenir une protection adéquate pour l’objet considéré. L’apport d’un professionnel est alors nécessaire – et nous nous ferons un plaisir de travailler (en tandem) avec vous.

 

[1] CJUE, C‑833/18, 11 juin 2020, Brompton : http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?docid=223082&mode=req&pageIndex=1&dir=&occ=first&part=1&text=&doclang=FR&cid=4847398

[2] https://worldwide.espacenet.com/patent/search/family/008186442/publication/EP0026800A1?q=pn%3DEP0026800

[3] Photographies tirées des conclusions de l’Avocat Général dans son opinion datée du 6 février 2020 : http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?docid=223082&mode=req&pageIndex=1&dir=&occ=first&part=1&text=&doclang=FR&cid=4847398

[4] Décision  n°41/2010 du 10 février 2010, Madrid Commercial Court n°5, http://www.poderjudicial.es/search/AN/openDocument/7ebb9212340fa287/20130531

[5] Articles 125 et 126 du Règlement (UE) 2017/1001.

[6] Notamment, par exemple, pour un véhicule dont la célébrité n’est pas étrangère à l’enregistrement de la marque : https://euipo.europa.eu/eSearch/#details/trademarks/018016122

Fabrice Pigeaux est Conseil en Propriété Industrielle de

puis plus de 10 ans et a rejoint Santarelli en 2016. Il assiste une Clientèle très variée, tant en France qu’à l’étranger, essentiellement sur des problématiques de marques et de noms de domaine.