La Cour d’Appel de Bordeaux a rendu le 25 janvier 2024 ses deux derniers arrêts relatifs à la commercialisation d’un vin de négoce reprenant le nom d’une exploitation1.

Retour sur une série d’arrêts mettant en lumière une pratique commerciale jugée trompeuse par la Cour et ses conséquences.

La spécificité des « premiers » et « seconds » vins de bordeaux

Il existe à Bordeaux une pratique viticole séculaire2 qui distingue les « premiers vins », symboles du prestige d’un domaine, des seconds vins, plus accessibles.

Les premiers vins, issus d’une sélection des meilleurs raisins d’une exploitation et bénéficiant d’une attention particulièrement élevée, incarnent l’excellence d’un château.

Ils se caractérisent par leur complexité, leur potentiel de garde et portent le nom de l’exploitation.
 
Les seconds vins offrent quant à eux une opportunité plus abordable pour ceux qui désirent explorer le style d’un domaine bordelais. Disposant d’un prix plus attractif, ils reflètent les qualités d’un vignoble et garantissent également un niveau de qualité élevé.
 
Expressions à part entière de leurs propriétés, les seconds vins sont en principe conçus pour être consommés plus rapidement : élaborés avec soin, ils peuvent être produits à partir de vignes plus jeunes3, de parcelles spécifiques, de raisins différents, ou vinifiés dans des barriques non sélectionnées pour les « premiers vins »4.

Les signes utilisés dans la commercialisation de ces seconds vins sont généralement des déclinaisons des marques domaniales.

Parmi les seconds vins des châteaux plus célèbres, nous pouvons citer comme exemple le « PAVILLON ROUGE du CHATEAU MARGAUX », « LE PETIT MOUTON DE MOUTON ROTHSCHILD » ou encore le « CARILLON d’ANGELUS ».

Un des points communs essentiels de ces « premiers » et « seconds » vins tient en ce qu’ils sont tous issus de raisins cultivés sur les parcelles de l’exploitation éponyme et partagent la même appellation.

Capitalisant sur cette approche, des acteurs du secteur se sont mis à développer des vins de négoce reprenant le nom d’une exploitation.

La définition d’un vin de négoce

Un vin de négoce est un vin élaboré à partir de raisins, de moût non fermenté ou de vins achetés auprès de divers domaines par un négociant qui le commercialisera par la suite sous une autre marque.5
 
Les vins de négoce bordelais sont généralement des vins d’assemblage constitués de différents lots d’appellation d’origine contrôlée Bordeaux.6

Il n’est ni rare ni prohibé que des négociants s’associent à des propriétés de renommée pour partager leur savoir-faire et élaborer de nouvelles bouteilles.
 
C’est dans ce contexte que sont apparus sur les étals ainsi qu’à la carte de restaurants des vins de négoce reprenant des noms d’exploitation, tels que « Le BORDEAUX DE LARRIVET HAUT-BRION » et « LeBORDEAUX de CITRAN » visés dans les décisions précitées du 25 janvier dernier.

L’utilisation de marques de négoce reprenant un nom d’exploitation

À l’initiative de la DREETS (Direction Régionale de l’Economie, de l’Emploi, du Travail et des Solidarités) de Nouvelle-Aquitaine (anciennement DIRECCTE), le ministère public a engagé des poursuites contre certains viticulteurs et négociants responsables de la commercialisation de flacons mettant en avant des noms de châteaux pour vendre des vins de négoce bordelais.

C’est dans ce cadre que la Cour d’Appel a rendu ses deux dernières décisions le 25 janvier 2024.

La principale question posée à la Cour était de savoir si, en faisant référence au nom d’une exploitation connue, le consommateur était amené à croire que le vin concerné était issu du château dont le nom est reproduit sur l’étiquette.

La première affaire concernait la commercialisation entre 2015 et 2018 de bouteilles vendues sous la marque « Le BORDEAUX DE LARRIVET HAUT-BRION » détenue par la SCEA LARRIVET HAUT-BRION et faisant l’objet d’une convention d’exploitation exclusive en faveur de la maison de négoce GINESTET.

Dans cette affaire, négociants et exploitants ont été déclarés coupables de pratique commerciale trompeuse par les juges bordelais pour lesquels des similitudes graphiques volontaires ainsi que des imprécisions textuelles présentes sur les étiquettes peuvent induire en erreur le consommateur aux fins de l’ « amener à orienter ses choix futurs vers la gamme du château LARRIVET HAUT-BRION » alors qu’il s’apprête à acquérir du vin non issu des parcelles de l’exploitation LARRIVET HAUT-BRION, cru classé de l’appellation Pessac-Léognan.

La deuxième affaire confirme le jugement précédent relativement cette fois à l’usage du signe « Le BORDEAUX de CITRAN » en appellation Bordeaux, présent sur des bouteilles vendues entre 2014 et 2016.

Il a ici été reproché au négociant (la Maison GINESTET) et à l’exploitant (la S.A. du Château Citran Médoc) d’« utiliser des moyens graphiques reprenant ceux des vins du domaine CITRAN susceptibles de tromper le consommateur sur les qualités, l’origine et la composition du vin désiré, le laissant penser qu’il achète un vin de la propriété CITRAN (Appellation Haut-Médoc) alors qu’il s’agit d’un vin de négoce ».
 
L’accent a également été mis sur le fait que les appelants avaient passé sous silence l’intervention du négociant.

En l’absence de mention explicite à ce sujet, ou concernant les propriétés tierces dont les vins ont été assemblés pour donner Le BORDEAUX de CITRAN, le consommateur peut donc être amené ici encore à penser que le vin est issu des vignes de la propriété CITRAN, située dans le Haut-Médoc.

Dans ces deux affaires, les entreprises concernées ont été condamnées à une amende de 30 000 €.

Ces condamnations s’inscrivent dans la lignée de précédentes décisions mettant en avant ce même type de pratiques.

Ces méthodes ont notamment été reprochées aux responsables de la commercialisation de bouteilles sous le signe « LE BORDEAUX DE MAUCAILLOU », affaire au cours de laquelle la maison de négoce SAS les notables de Maucaillou a été condamnée en appel à régler une amende 150 000 €7 .

Les acteurs de la marque BORDEAUX de GLORIA ont également eu à régler chacun une amende de 100 000 €8 en première instance, tout comme ceux responsables de la commercialisation du vin «LE BORDEAUX de BY »9.

On ne dénombre pas moins de cinq affaires ayant mis en lumière cette technique de vente.

La mise en place d’une Charte des bonnes pratiques

Afin de tenter de se mettre en conformité avec la loi et écarter toute tromperie lors de la commercialisation d’un vin de négoce faisant référence à une marque domaniale, les maisons de négoce ainsi que les propriétés se sont réunies et ont présenté à la préfecture une Charte venant préciser les conditions dans lesquelles les informations disponibles sur les bouteilles sont assez claires et précises pour répondre aux exigences des textes et renseigner au mieux le consommateur.10

Un des points principaux de cette Charte concerne l’étiquetage du vin qui ne doit pas reprendre la représentation visuelle de l’exploitation mentionnée sur l’étiquette et est tenu de préciser que le vin n’est pas issu des vignes de cette exploitation.

Il est également indiqué que la marque doit être déposée auprès de l’INPI par l’exploitant propriétaire du domaine mentionné sur l’étiquette.
Cette Charte, qui n’a pas de valeur juridique contraignante reste, selon Nicolas Bordenave, le chef du service Vins et Signes de Qualité de la DREETS de Nouvelle Aquitaine (ex-DIRECCTE) « utile pour que les opérateurs puissent sécuriser juridiquement leurs marques et étiquettes. ».11

Selon lui, le respect de cette Charte permettrait d’écarter 90 % des étiquettes sujettes à controverse.12

Prudence et intégrité : La clé du succès pour les marques viti-vinicoles bordelaises

Ces récentes affaires judiciaires nous enseignent à quel point il est nécessaire de rester vigilant et transparent lors de l’élaboration et la commercialisation de nouveaux vins ou de nouvelles cuvées.

Nos équipes se tiennent naturellement à votre disposition afin de vous aider dans vos réflexions et démarches lors de la création de vos nouvelles marques viti-vinicoles.

Mai 2024

Guillaume Andanson, Juriste SANTARELLI

Guillaume Andanson

Juriste | Associé

Sources

  1. Cour d’Appel de Bordeaux Chambre Commerciale – 25 janvier 2024 – No. de minute DC37 et DC38
  2. Seconds vins de Bordeaux. Petites étiquettes mais grande classe – Philippe Maurange, Olivier Poels- Revue du vin de France, Nº. 595, 2015, pages. 92-97
  3. CA Lyon, 1re ch. civ. A, 20 mai 2021, n° 19/06495  : JurisData n° 2021-010059 [1]
  4. Voir à ce sujet La police des secondes marques vinicoles Les excès de l’oncologie juridique – Eric Agostini – Open wine Law, 11 mars 2021.
  5. Pour plus d’information sur les vins de négoce : https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/le-vin-mieux-sinformer-pour-bien-choisir
  6. Cour d’Appel de Bordeaux Chambre Commerciale – 25 janvier 2024 – No. de minute DC37 – page 9
  7. CA Bordeaux, 30 juin 2022, n° 20/00157
  8. https://www.vitisphere.com/actualite-96135-200-000-euro-damendes-pour-la-tromperie-du-bordeaux-de-gloria.html
  9. https://www.vitisphere.com/actualite-96874-200-000-euro-damende-pour-un-vin-de-bordeaux-qui-a-deliberement-trompe-les-consommateurs.html
  10. https://fgvb.fr/wp-content/uploads/2021/10/CHARTE-MARQUES-DOMANIALES.pdf
  11. https://www.vitisphere.com/actualite-94119-ladministration-juge-utile-la-charte-des-vins-de-bordeaux-pour-securiser-les-marques-domaniales.html
  12. Ibid

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