Les marques dites non conventionnelles – souvent méconnues, parfois redoutées – sont pourtant pleinement exploitables pour ceux qui maîtrisent les règles du jeu. Et elles occupent une place de plus en plus importante dans la vie des affaires.

Si obtenir une marque atypique ou non conventionnelle relève parfois du parcours semé d’embuches et peut effrayer, c’est justement cette capacité intrinsèque à se différencier des signes dans le secteur considéré, qui, une fois enregistrée, lui confère cette valeur indéniable.

Dans un marché saturé, où les signes traditionnels peinent parfois à émerger, les marques atypiques permettent une véritable rupture visuelle, sonore ou gestuelle. Mais cette originalité a un prix : celui de la rigueur juridique et d’un examen renforcé par les offices de propriété industrielle.

Marques sonores, de mouvement, de position, de couleur ou encore formes tridimensionnelles… ces signes doivent s’éloigner sensiblement des usages du secteur pour être enregistrables. Le simple fait d’être différent ne suffit pas. Il faut encore prouver que le public cible les perçoit comme un identifiant d’origine, et non comme un élément purement décoratif ou technique.

Les marques sonores, de mouvement, de position, de couleur peuplent notre quotidien. Même si elles sont souvent oubliées ou mal connues, l’importance économique et concurrentielles de ces signes est telle que leur protection ne doit jamais être oubliée ou écartée de prime abord.

Ceci étant, la protection de tels signes n’est pas aisée. Selon la formule traditionnellement retenue, leur enregistrement n’est possible que s’ils « divergent de façon significative de la norme ou des habitudes du secteur ». Au surplus, pour les juridictions, le consommateur ne perçoit pas spontanément ces signes comme une marque potentielle/un identifiant de l’origine des produits ou services marqués, à la différence d’un mot ou d’un logo. Il est donc objectivement plus difficile pour de tels signes de pouvoir constituer des marques valides.

La prudence et une analyse rigoureuse restent donc de mise avant un éventuel dépôt – mais il reste possible d’obtenir un enregistrement, en s’appuyant sur les principes rappelés par les décisions récentes en la matière.

Prenons l’exemple emblématique du son « Pschitt » [1], évoquant l’ouverture d’une canette suivie d’un silence d’environ 1 seconde, puis d’un pétillement d’environ 9 secondes.

Le Tribunal de l’UE a validé cet enregistrement (visant les classes 6, 29, 30, 32, 33), en soulignant que le son ne remplissait pas seulement une fonction technique, mais avait une capacité à marquer les esprits – donc à désigner une origine.

À l’inverse, le célèbre jingle de Netflix (que l’on entend à l’ouverture de l’application) déposé en 2018 a été refusé par l’Office en classes 38 et 41 [2].

Il n’existe pourtant a priori pas de rapport clair entre cette phrase sonore et les services de divertissement alors concernés, permettant ainsi au signe d’être perçu comme une marque. Aucune justification officielle n’a été publiée, mais il est probable que la brièveté du son [3] ou l’absence de lien évident avec les services proposés aient joué en sa défaveur. Netflix a réagi stratégiquement en déposant une marque multimédia mêlant son et image [4] : un exemple intéressant de contournement intelligent.

Les marques en trois dimensions connaissent des fortunes diverses. Certaines réussissent à convaincre les juges [5] par leur caractère « fantaisiste », comme le rouge à lèvres de Guerlain, dont la forme évoquait une coque de bateau ou un couffin, rompant ainsi avec les codes du secteur.

D’autres, en revanche, échouent. Ce fut le cas d’une forme de botte après-ski : la marque enregistrée en 2012 en classe 18,20 et 25 a été annulée en 2022. Malgré une combinaison d’éléments visuels, le Tribunal a jugé (point 99 notamment) que ceux-ci relevaient de « détails décoratifs ou techniques qui n’avaient pas d’incidence sur l’apparence globale du produit et constituaient de simples variantes à l’apparence d’une botte après-ski » dénuées de pouvoir distinctif. Cela semble un peu péremptoire sauf à considérer que c’est bien sur la forme du produit et non sur son apparence que portait l’objet du dépôt.

Les marques de mouvement (« motion marks ») obéissent à la même exigence de caractère distinctif. Ainsi la séquence constituée d’une main s’ouvrant et se fermant, pour des téléviseurs, écrans, haut-parleurs… en classe 09, a été refusée pour défaut de caractère distinctif [6]: l’Office a considéré le geste de main comme une instruction d’utilisation, d’activation/désactivation plutôt que d’un signe de reconnaissance. Ce type de marque ne peut prospérer que si le mouvement présente une dimension symbolique ou distinctive forte.

Les marques de position (c’est-à-dire des signes susceptibles de constituer une marque en fonction de leur positionnement sur le produit) posent des difficultés particulières. Si la célèbre couture en V sur les poches arrière des jeans Levis® est devenue iconique, d’autres signes peinent à convaincre.

Là encore, seule la preuve d’un usage intensif et reconnu aurait pu faire pencher la balance.

Certainement pas. Il s’agit bien souvent de signes importants pour les entreprises, qui nécessitent d’être considérés avec soin, afin d’évaluer au mieux les chances de parvenir à un enregistrement.

Ces marques exigent une préparation rigoureuse, un positionnement clair, et souvent des stratégies hybrides :

  • dépôt combiné (image + son) ;
  • revendication du caractère distinctif acquis par l’usage ;
  • ou encore, protection via la concurrence déloyale ou les dessins et modèles.

Elles peuvent offrir une protection puissante pour des actifs clés de l’entreprise – qu’il s’agisse d’une signature sonore, d’un packaging iconique ou d’un élément visuel fort dans un univers digitalisé.

Mai 2025

Fabrice Pigeaux, Juriste marques dessins modèles chez Santarelli

Fabrice Pigeaux

Juriste | Associé