Commentaires sur la dernière pratique commune des offices européens

L’élaboration d’un libellé relève souvent du jeu d’équilibriste : entre recherche de précision dans la couverture des produits et services désignés par la marque, et prise en considération d’éventuels développements futurs et défense des droits obtenus.

Une trop grande précision peut s’avérer restrictive, limitant ainsi le champ de protection tout en étant problématique au moment de la justification de l’usage, alors qu’une désignation qui en ferait défaut pourrait faire l’objet d’une objection et/ou empêcher l’effectivité de la protection conférée par la marque.

L’exigence de clarté doit aussi permettre aux tiers d’appréhender de façon immédiate à quels produits et quelles activités le monopole attribué au titulaire de la marque s’étend.

Il est ainsi admis de longue date que les termes trop vagues, trop généraux et les intitulés des classes de la classification de Nice sont dépourvus de clarté et doivent être précisés.

Dès l’arrêt « IP Translator » de 2012[1], l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) a publié des communications visant à guider les titulaires de marques et professionnels de la PI dans l’appréhension des libellés trop vagues et termes manquant de clarté, ouvrant plus tard la possibilité, pour les titulaires de marques UE déposées avant 2012 et désignant des intitulés de classes, la possibilité de déposer des déclarations en vue de préciser si ces intitulés devaient être pris dans leur acception littérale ou devaient être compris comme englobant des produits ou services plus précis, alors à définir – étant entendu que cette appréciation devait être effectuée selon l’édition de la classification de Nice applicable au moment du dépôt, celle-ci étant révisée annuellement[2].

De plus, en cas d’opposition ou d’action judiciaire fondée sur et/ou dirigée contre une marque désignant des produits et services imprécis, ceux-ci étaient écartés de la comparaison – ces termes étant souvent considérés comme ne permettant pas aux tiers de déterminer l’étendue de la protection conférée par la marque, et étant alors appréhendés selon des critères variés, qui pouvaient différer d’un office/juridiction à un autre (parfois sans cohérence).

La pratique de l’EUIPO, comme celle des offices des Etats membres, a continué de s’affiner à partir de cette ligne, et c’est notamment en vue d’une harmonisation du traitement de ces termes manquant de clarté et précision qu’est intervenue la communication commune dite « PC15 »[3]. Celle-ci entend acter les convergences de pratique entre l’office européen et les différents offices nationaux sur l’interprétation et la comparaison des libellés comprenant des termes vagues ou imprécis, fixant pour « messages clés » les points suivants :

dorénavant, les termes peu clairs et imprécis qui figurent dans le libellé d’une marque ne doivent plus être exclus d’emblée de la comparaison des produits et services au motif qu’ils manquent de clarté et de précision (ce qui est à notre sens positif),

néanmoins, ces termes ne peuvent être pris en considération que dans leur sens propre et littéral – en tenant compte, pour le déterminer, de la classe de produits ou services dont ils relevaient au moment du dépôt (étant noté que les notes explicatives concernant les différentes classes peuvent être pertinentes). Par ailleurs, cette interprétation ne peut être faite d’une manière qui soit favorable au titulaire de la marque qui couvre ces termes.

Concrètement, sous l’égide de cette pratique harmonisée entre l’EUIPO et les offices nationaux des Etats membres s’étant joint à sa mise en œuvre, le traitement des termes manquant de clarté et de précision dans le cadre de la comparaison de ceux-ci avec d’autres produits ou services se fera comme suit :

si les deux libellés comparés contiennent exactement les mêmes termes peu clairs et imprécis ou des termes qui sont synonymes, alors ceux-ci sont considérés comme identiques (par exemple, les « Produits en ces matières [cuir et imitations du cuir] » de la classe 18 sont imprécis, mais seront comparés et tenus pour identiques dans leur comparaison si désignés dans les mêmes termes par les deux marques considérées) ;

si les libellés comparés comprennent des termes peu clairs et imprécis qui ne sont pas exprimés de façon identique ou synonyme, alors la comparaison se fera sur la base des critères de l’arrêt Canon (notamment nature, destination, fonction, mise en concurrence ou complémentarité, canaux de distribution, public pertinent, origine habituelle etc.), mais en ne considérant que le sens propre littéral du terme imprécis – mis en lien, pour cela, avec la classe de produits ou services dans laquelle il a été indiqué (car permettant d’appréhender la catégorie à laquelle il appartient.) Par exemple, parmi les premières décisions rendues par l’INPI sous cette approche modifiée mais stricte, la désignation des « Produits en ces matières [cuir et imitations du cuir] » de la classe 18 (termes vagues et imprécis) n’a été pas été considérée comme similaire aux « sacs »[4]. Conséquence : cela peut faire pencher la balance en défaveur du titulaire de la marque antérieure, qui verra son opposition/action possiblement rejetée en tout ou partie.

Le risque principal est donc, pour les marques désignant des produits ou services manquant de précision et de clarté, que celles-ci ne puissent être valablement invoquées à l’encontre de marques postérieures similaires, au motif que le libellé pris dans son sens propre et littéral – et donc considéré dans un sens restrictif – ne couvre pas des produits ou services similaires à ceux de la marque adverse – et ce alors même que, parfois, le titulaire de la marque antérieure aurait pu vouloir viser lesdits produits au moment où il a procédé à son propre dépôt (ce qui peut typiquement être le cas des « sacs » lorsque les « produits en cuir » étaient désignés). Cela est particulièrement fréquent pour les marques anciennes, notamment celles antérieures à 2012 et l’arrêt « IP Translator » et non précisées à date.

Pour apprécier, et lorsque cela est encore possible, pour minimiser ce risque, il peut être utile de réaliser un audit de votre portefeuille de marques, afin de revoir l’ensemble des libellés couverts, d’identifier les éventuels termes imprécis[5], et en fonction :

  • de procéder à d’éventuelles limitations (ce qui est recommandé par certains offices) ;
  • ou pour les marques européennes aux renonciations partielles de l’article 57 de l’actuel Règlement ;

tout en considérant, dans cette analyse, les éventuels cas de reclassification intervenus ou à venir (voir sur ce point notre article traitant de ce sujet, également dans la présente newsletter) et les pratiques divergentes des offices (par exemple, en cas de d’absence d’identification spécifique des « lunettes » – qui relèvent actuellement de la classe 9 mais qui seront prochainement en classe 10 – ces produits pourraient-ils être considérés comme appartenant possiblement à la catégorie générale des « appareils et instruments optiques », lesquels restent en classe 9 ?)

Ce travail peut s’avérer particulièrement fastidieux, mais il peut se montrer utile, voire primordial, pour préserver l’efficacité de sa protection. Bien entendu, nos équipes se tiennent à disposition pour vous proposer une stratégie et un calendrier pragmatiques.

Octobre 2025

Nelly OLAS - Juriste Marques

Nelly Olas

Juriste

Sources

  1. CJUE, 19 juin 2012, Aff. C‑307/10
  2. Ces déclarations, relevant de l’ancien article 28 / désormais article 33 (8) du Règlement sur la marque européenne, étaient ouvertes jusque septembre 2016.
  3. Pratique Commune « PC15. Comparaison des produits et services : traitement des termes manquant de clarté et de précision et interprétation commune des critères de l’arrêt Canon et d’autres facteurs », adoptée à l’unanimité par le conseil d’administration de l’EUIPO en novembre 2024 et dont la mise en œuvre a été validée par les derniers office nationaux en juin 2025. Cette Pratique Commune est en ligne non seulement avec l’arrêt « IP Translator », mais également avec la Directive UE 2015/2436 sur les marques 
  4. Cf. Décision OP24-2993
  5. À ce titre, la communication « PC15 » n’a pas, pour autant, vocation à fixer les critères qui permettraient de déterminer quels termes sont considérés comme étant clairs et précis ou, au contraire, comme manquant de clarté et de précision. On se réfèrera alors plutôt aux communications « PC1 » et « PC2 », ainsi qu’aux analyses réalisées au moment de la période de dépôt des déclarations de l’ancien article 28 / article 33 (8).

IA et logiciel • Marques

Intelligence artificielle générative et droit d’auteur : l’UE trace les contours d’un nouveau cadre juridique

Marques

CHYPRE : un territoire partagé en droit des marques

Marques

La notoriété du déposant : un « point bonus » ?