Par un jugement du 20 mars 2025, le tribunal judiciaire de Marseille a admis qu’un horodatage effectué dans une blockchain publique pouvait constituer un moyen de preuve recevable pour établir la titularité de droits d’auteur sur des créations de mode.

Il s’agit d’une première en droit français, marquant un signal favorable pour ses utilisateurs dans la reconnaissance de cette technologie comme outil probatoire.

Pourquoi est-ce important ?

Jusqu’ici, l’usage de la blockchain pour prouver une date de création se heurtait à l’absence de reconnaissance explicite par les tribunaux français comme mode de preuve recevable. Cette décision envoie un signal positif aux utilisateurs de la technologie et renforce la sécurité juridique des éléments horodatés.

Pour mémoire, une blockchain publique (comme Bitcoin ou Ethereum) est un registre distribué et réputé inaltérable, constitué de blocs chaînés les uns aux autres et répliqués sur de nombreux serveurs.

Horodater un fichier consiste à inscrire dans un bloc une empreinte numérique (ou hash) dudit fichier. Cette empreinte permet ensuite d’en vérifier la date certaine et l’intégrité à tout moment, à faible coût.

Les outils « classiques » de preuve, comme l’acte authentique notarié ou l’enveloppe (e-)Soleau, restent parfaitement pertinents, mais peuvent être coûteux, lourds à mettre en œuvre ou inadaptés au rythme de création. Dans ce contexte, l’horodatage sur blockchain constitue une solution souple, économique et immédiate, utile pour documenter un processus créatif souvent itératif et dispersé (croquis, échanges d’emails, fichiers numériques, etc.). C’est dans cet esprit que Santarelli met à disposition de ses clients un service d’horodatage blockchain, afin de leur permettre de sécuriser, au fil de l’eau, chaque étape de leurs processus créatifs.

En hommage à son fondateur Albert Elbaz, la société AZ FACTORY a fait réaliser une collection intégrant des croquis du couturier. Les pièces en cause — des pyjamas en soie — se distinguent par la présence de croquis d’Albert Elbaz le mettant en scène sous forme de cartoon et adressant des messages d’amour dont AZ FACTORY revendique la titularité exclusive des droits d’auteur.

En juin 2022, AZ FACTORY découvre la vente sur des marchés de vêtements reprenant la combinaison de caractéristiques originales de ses modèles. Elle assigne alors la société VALERIA MODA devant le Tribunal judiciaire de Marseille en contrefaçon de droits d’auteur.

Pour établir qu’elle était bien titulaire des droits patrimoniauxd’auteur sur les œuvres en cause, AZ FACTORY produisait notamment :

  • deux procès-verbaux de constats ayant consigné l’empreinte numérique de ses croquis, ancrée dans une blockchain publique,
  • des publicités publiées sur YouTube et les réseaux sociaux montrant la divulgation des créations sous sa marque.

Le tribunal a jugé ces éléments concordants et a reconnu que la société était investie des droits d’auteur sur les œuvres.

Le tribunal a ensuite considéré que les vêtements litigieux constituaient des copies serviles des œuvres en cause, condamnant VALERIA MODA à verser 11 900 € de dommages et intérêts en réparation du préjudice né des actes de contrefaçon de ses droits d’auteur, outre les dépens et les frais d’article 700 du Code de procédure civile.

Cette décision marque donc la première admission judiciaire explicite d’un horodatage sur blockchain comme élément probatoire valable.

Cette décision ouvre la voie à une utilisation plus large de la blockchain pour consolider les preuves de création. Elle n’écarte pas les outils existants mais les complète utilement, notamment dans les situations où la rapidité, la fréquence ou le faible coût sont déterminants.

Des précautions demeurent toutefois nécessaires :

  • documenter soigneusement la procédure d’horodatage ;
  • conserver les originaux intacts ainsi que leurs empreintes numériques ;
  • être en mesure de lier sans ambiguïté un fichier horodaté à son auteur ou titulaire.

Lorsqu’elle est utilisée correctement, la blockchain peut ainsi devenir un outil probatoire fiable, flexible et adapté aux besoins réels des créateurs, des inventeurs et des services innovation.

Références de la décision : Tribunal judiciaire de Marseille, 20 mars 2025, RG n°23/00046.

Novembre 2025

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