L’Affaire Black Eyed Peas apporte une clarification majeure en matière de prescription des actes de contrefaçon en matière de droit d’auteur.

Cass. Civ. 1ère, 3 Septembre 2025, n°23-18.669.

La prescription est un principe fondateur du droit français, hérité du droit romain, garant du droit à l’oubli et du pardon légal. La prescription est un mode d’extinction de droit par le simple effet du temps, fondée sur deux concepts :

  • une durée ; et
  • un point de départ

La durée du délai de prescription légale varie en fonction des textes, des matières et de la qualification des faits. En droit civil, l’article 2224 du Code civil pose le délai de prescription à 5 ans. L’action civile pour des faits de contrefaçon de droits d’auteur se prescrit donc dans un délai de 5 ans, « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

Tout l’enjeu réside dans l’appréciation du point de départ (faisant courir le délai de prescription).

La position de la cour d’appel : Une prescription globale.

La procédure de 1ère instance

  • Le 10 février 2004, 3 compositeurs français déposent une création à la SACEM. Cette création musicale intitulée « un monde sans danger » est le générique de la série animée Code Lyoko. En 2010, le groupe américain Black Eyed Peas publie son album « The Beginning » dans lequel se trouve la musique « Whenever ». Les artistes français considèrent que ce titre est une contrefaçon de leur création originale.
  • Le 30 décembre 2011, les 3 compositeurs mettent en demeure les artistes américains, leur société d’édition et de distribution de réparer le préjudice subi du fait de la contrefaçon de leur œuvre « Un monde sans danger » et de son adaptation en anglais « A world without danger ».
  • Sans réponse satisfaisante, ils ont assigné les prétendus contrefacteurs devant le tribunal judiciaire de Paris, le 6 juin 2018, pour des faits de contrefaçon de droits d’auteur. En 2018, le titre Whenever est toujours disponible sur les plateformes de streaming, et l’album The Beginning se vend encore.

Après le rejet de leurs demandes par le Tribunal Judiciaire de Paris le 9 juillet 2021, les compositeurs français interjettent appel le 20 août 2021. 

L’arrêt de la cour d’appel de Paris

Dans son arrêt du 17 mai 2023, la cour d’appel de Paris déclare irrecevable l’action en contrefaçon, portée par les 3 compositeurs, au motif que les faits allégués sont prescrits.

Comme rappelé ci-dessus, l’article 2224 du Code civil dispose que les actions se prescrivent par 5 ans, à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l’exercer.

Pour estimer le point de départ du délai, la cour d’appel de Paris a suivi la théorie de la prescription globale.

Whenever, le titre litigieux, est sorti en 2010. Les 3 français ont adressé une lettre de mise en demeure en 2011. L’action au fond a été engagée en 2018, soit 7 ans après l’envoi de lettre de mise en demeure ; 7 ans après la prise de connaissance des faits litigieux. L’action est prescrite.

Le raisonnement de la Cour tient en ce que la présence des titres sur les plateformes et la présence des albums dans les réseaux de distribution au moment de l’assignation ne représentent que le prolongement normal de l’exploitation contrefaisante initiale, ne faisant pas courir un nouveau délai de prescription.

Le jour où le titulaire des droits connait l’acte de reproduction contrefaisant initial représente le point de départ du délai de prescription, de cet acte, mais aussi de l’ensemble des actes de prolongement de son exploitation normale.

La solution de la Cour de cassation :
chaque diffusion est un acte autonome

Saisie de la question, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel au motif qu’elle commet une erreur d’interprétation de l’article 2224 du Code civil.

Les juges de la 1ère chambre civile affirment :

« dans les cas où la contrefaçon résulte d’une succession d’actes distincts, qu’il s’agisse d’acte de reproduction, de représentation ou de diffusion, et non d’un acte unique dont les effets restent dans le temps, la prescription court pour chacun de ces actes à compter du jour où l’auteur a connu un tel acte ou aurait dû en avoir connaissance. »

Autrement dit, chaque acte de contrefaçon, même s’il s’inscrit dans une exploitation continue constitue un fait générateur distinct. La distribution de l’album The Beginning entre 2011 et 2018 et la présence de Whenever sur les plateformes de streaming représentent des actes de contrefaçon distincts qui relancent un nouveau délai de prescription.

L’affaire est renvoyée devant la Cour d’appel de Paris, autrement composée.

Les enseignements de la décision

La prise de position de la Haute juridiction est créatrice d’effets notables :

  • Chaque acte constitutif de contrefaçon doit être individualisé pour prendre en compte le point de départ de la prescription.
  • La protection des œuvres originales est renforcée. Les auteurs peuvent agir contre des contrefaçons continues et répétées dans le temps.
  • La décision alourdit les obligations pesant sur les éditeurs et distributeurs de contenu. L’acte de diffusion, et de distribution est un acte de contrefaçon distinct et autonome de l’acte de reproduction initial. Les ayants droit commerciaux doivent être plus vigilants. Le simple écoulement du temps ne constitue plus une protection.

En somme, cette décision offre une protection accrue aux auteurs, qui voient leur délai d’action allongé. La limite pourrait résider dans l’interprétation de la formule « succession d’actes distincts ».

Les juges de la 1ère chambre civile le précisent dans leur décision :

« Il s’en déduit que lorsque la contrefaçon résulte d’une succession d’actes distincts, qu’il s’agisse d’actes de reproduction, de représentation ou de diffusion, et non d’un acte unique de cette nature s’étant prolongé dans le temps ».

La différence entre une « succession d’actes distincts » et un « acte unique de cette nature s’étant prolongé dans le temps » ne semble pas évidente, notamment lorsque les conséquences de cet acte viennent étendre sa portée.

Octobre 2025

Gwendal BARBAUT-Avocat Santarelli

Gwendal Barbaut

Avocat | Associé

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